Mademoiselle tout à l’envers (Pastel sec) – Hommage à l’illustrateur Philippe Corentin (1936-2022)

Mademoiselle tout à l’envers

Quand c’est le jour,
Elle dort toujours.
Les pieds et la tête en l’air,
À l’endroit où à l’envers,
Elle se rêve en toboggan
Et se réveille de travers.
Mais vers le soir,
Quand vient l’espoir,
À l’envers ou à l’endroit,
Même si ce n’est pas la loi,
Elle festoie avec les rois
Et reines poètes du verlan,
Auxquels elle parle tout en vers.
C’est renversant !

© Isabelle Forestier

Texte et illustration conçus pour une exposition de groupe en hommage à l’illustrateur Philippe Corentin (1936-2022) qui aura lieux de décembre 2023 à mars 2024 au Musée de l’Illustration Jeunesse de Moulins. Mon poème et l’illustration sont une libre interprétation de Chiffonnette la chauve-souris, personnage central de l’album :
« Mademoiselle tout à l’envers »
publié aux éditions L’école des Loisirs.

Celle qui était…

Entre les geysers et dunes
D’un cratère de la lune,
Celle qui était mon amie
Chevauche des vapeurs
De soufre et de paradis.
Elle lance des lassos
Sur les anges et crotales
Et les noie dans les fleurs.
Toi qui étais mon amie
Tu t’emparais de mes rêves
En laçant mon cou.
Tu réveillais mes peurs
En tirant sur le licou.
Tout d’abord,
Je n’ai cherché qu’une trêve
Dans un ermitage.
Toi qui étais mon amie
Fallait-il tant de bruit ?
Fallait-il tant de mots ?
Nous en avons trop dit.
Loin, loin, tout la haut,
Je t’abandonne
À ton rodéo.
Ni ange, ni crotale,
Je me suis enfuie
Sur un nuage
Par vent de tramontane.
Laisse-moi libre !
Je veux vivre
Ici, sur la terre.
Tu étais une amie,
J’ai aussi de la peine,
Je ne te souhaite aucun mal.
Danse, chante et dors !
Un jour, tu verras
Le soleil éclairera
La face cachée de ta lune
Et la repeindra d’or.

© Isabelle Forestier

La soif

Eau.
Sentir.
J’avais si soif.
C’est frais.
La boue est un nectar.
Je respire.
Jour après jours,
Le soleil avait carbonisé ma peau,
Ce tortionnaire,
Ce despote totalitaire.
Mes mille doigts se brûlaient à ronger la terre.
Ils avaient beau creuser, creuser, creuser,
Il n’y avait plus d’eau.
Mon pouls faiblissait.
J’ai du concentrer ma force au centre de mon corps.
J’ai perdu beaucoup de cheveux,
L’esprit aussi, peut-être un peu.
C’était trop tôt,
Bien avant l’automne.
Maintenant le ciel se fendille, tonne,
S’ouvre et la pluie danse avec mes voisins et moi…
Ceux qui ont survécu.
Les autres, la mort les a roussit.
Ma sœur reste à mon côté,
Bien droite sur son tronc.
Nous nous sommes tenus par les radicelles.
Demain, sa chevelure de feuilles reverdira,
Épaisse.
Elle est belle ma sœur.
Nous vivrons encore,
Nous, arbres.

© Isabelle Forestier

Tes questions mon chaton

TES QUESTIONS MON CHATON

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est une rumeur étrangère,
Dans les débats télévisés,
Ce sont des présidents fâchés
Et leurs peuples mal informés.

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est la bourse en décrue,
Une moisson de blé jaune perdue
Et des gens qui prient
A l’autre bout du pays.

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est le brame des canons
Roulant vers nos régions
Et des voitures en sens contraire
Qui fuient vers la frontière.

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est du feu dans le bleu de l’air
et du sang sur la terre,
C’est, avant l’aube, ton père partit
Avec un pauvre fusil.

Maman, c’est quoi la guerre ?
Ce sont des maisons cassées,
Des sirènes toutes les heures,
C’est la voisine qui pleure
Et ton père qui tarde à rentrer.

Maman, c’est quoi la guerre ?
Ce sont des cris dehors,
Suivit de silences trop sonores,
C’est ton père disparu
Qui, peut-être, ne reviendra plus,

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est un souffle affreux et toi,
Dans mes bras trop maigres, toi,
Mon chaton, mon tout petit petit mignon,
Toi, qui ne poseras plus de questions…

Toi, qui ne poseras plus de questions…

© Isabelle Forestier

La fée Chaussette

Avez-vous comme moi,

Une fée

Dans votre machine à laver ?

La mienne se nomme Chaussette.

Grâce à elle, mon linge sort plus blanc

Que la neige au nouvel an,

Ou avec des parfums et couleurs d’été.

Mais parfois,

Surtout les jours de Sabbat,

Elle me joue des tours.

La belle robe que je viens d’acheter,

Elle me la rend toute fripée,

Ou décolorée.

D’autres jours,

Quand je lui donne six chaussettes

Elle ne m’en rend que trois.

J’ai tenté de l’amadouer,

Mais elle n’a jamais voulu changer,

Ni même s’expliquer.

C’est peut-être une sorcière antédiluvienne

Fâchée avec la technologie moderne.

© Isabelle Forestier