Celle qui était…

Entre les geysers et dunes
D’un cratère de la lune,
Celle qui était mon amie
Chevauche des vapeurs
De soufre et de paradis.
Elle lance des lassos
Sur les anges et crotales
Et les noie dans les fleurs.
Toi qui étais mon amie
Tu t’emparais de mes rêves
En laçant mon cou.
Tu réveillais mes peurs
En tirant sur le licou.
Tout d’abord,
Je n’ai cherché qu’une trêve
Dans un ermitage.
Toi qui étais mon amie
Fallait-il tant de bruit ?
Fallait-il tant de mots ?
Nous en avons trop dit.
Loin, loin, tout la haut,
Je t’abandonne
À ton rodéo.
Ni ange, ni crotale,
Je me suis enfuie
Sur un nuage
Par vent de tramontane.
Laisse-moi libre !
Je veux vivre
Ici, sur la terre.
Tu étais une amie,
J’ai aussi de la peine,
Je ne te souhaite aucun mal.
Danse, chante et dors !
Un jour, tu verras
Le soleil éclairera
La face cachée de ta lune
Et la repeindra d’or.

© Isabelle Forestier

La soif

Eau.
Sentir.
J’avais si soif.
C’est frais.
La boue est un nectar.
Je respire.
Jour après jours,
Le soleil avait carbonisé ma peau,
Ce tortionnaire,
Ce despote totalitaire.
Mes mille doigts se brûlaient à ronger la terre.
Ils avaient beau creuser, creuser, creuser,
Il n’y avait plus d’eau.
Mon pouls faiblissait.
J’ai du concentrer ma force au centre de mon corps.
J’ai perdu beaucoup de cheveux,
L’esprit aussi, peut-être un peu.
C’était trop tôt,
Bien avant l’automne.
Maintenant le ciel se fendille, tonne,
S’ouvre et la pluie danse avec mes voisins et moi…
Ceux qui ont survécu.
Les autres, la mort les a roussit.
Ma sœur reste à mon côté,
Bien droite sur son tronc.
Nous nous sommes tenus par les radicelles.
Demain, sa chevelure de feuilles reverdira,
Épaisse.
Elle est belle ma sœur.
Nous vivrons encore,
Nous, arbres.

© Isabelle Forestier

Tes questions mon chaton

TES QUESTIONS MON CHATON

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est une rumeur étrangère,
Dans les débats télévisés,
Ce sont des présidents fâchés
Et leurs peuples mal informés.

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est la bourse en décrue,
Une moisson de blé jaune perdue
Et des gens qui prient
A l’autre bout du pays.

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est le brame des canons
Roulant vers nos régions
Et des voitures en sens contraire
Qui fuient vers la frontière.

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est du feu dans le bleu de l’air
et du sang sur la terre,
C’est, avant l’aube, ton père partit
Avec un pauvre fusil.

Maman, c’est quoi la guerre ?
Ce sont des maisons cassées,
Des sirènes toutes les heures,
C’est la voisine qui pleure
Et ton père qui tarde à rentrer.

Maman, c’est quoi la guerre ?
Ce sont des cris dehors,
Suivit de silences trop sonores,
C’est ton père disparu
Qui, peut-être, ne reviendra plus,

Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est un souffle affreux et toi,
Dans mes bras trop maigres, toi,
Mon chaton, mon tout petit petit mignon,
Toi, qui ne poseras plus de questions…

Toi, qui ne poseras plus de questions…

© Isabelle Forestier

La fée Chaussette

Avez-vous comme moi,

Une fée

Dans votre machine à laver ?

La mienne se nomme Chaussette.

Grâce à elle, mon linge sort plus blanc

Que la neige au nouvel an,

Ou avec des parfums et couleurs d’été.

Mais parfois,

Surtout les jours de Sabbat,

Elle me joue des tours.

La belle robe que je viens d’acheter,

Elle me la rend toute fripée,

Ou décolorée.

D’autres jours,

Quand je lui donne six chaussettes

Elle ne m’en rend que trois.

J’ai tenté de l’amadouer,

Mais elle n’a jamais voulu changer,

Ni même s’expliquer.

C’est peut-être une sorcière antédiluvienne

Fâchée avec la technologie moderne.

© Isabelle Forestier

Ce jour de mars ma petite Maman…

Un jour de mars, ma petite Maman, 

Je n’ai pas pu t’accompagner. 

J’espérai encore serrer ta main.

Tu es partie toute seule, sans câlin,

Demi-orpheline, comme tu es née. 

 

Posé sur une branche d’arbre fleurie,

La tête dans le ciel bleu, 

Ce jour de mars, un oiseau pépie. 

C’est la guerre ! L’ennemi se tapi, 

Invisible pour les yeux. 

 

Ce jour de mars, ma petite Maman, 

Ma paume, sent toujours tes doigts ridés. 

Tu avais si peur, tu m’étreignais. 

Tu croyais qu’on t’abandonnait. 

Je n’ai pas su te rassurer.

 

Je te revoie, j’étais enfant, 

Tu tenais dans une main alors douce 

Un bouquet comme la branche fleurie, 

Et tout bleu, comme le ciel d’aujourd’hui. 

Je te prenais pour une déesse. 

 

Tu n’étais pas souvent là. 

Tu préférai Papa ! 

Un jour, tu me l’as dit.  

As tu vraiment choisit ? 

Je n’en ai voulu qu’à lui. 

 

En secret, tu calmais ses colères, 

Ses propos malvoyants, 

Ses humeurs meurtrières. 

Ce jour de mars, ma petite Maman,

J’ai pardonné, il y a longtemps. 

 

A ta façon distante, 

Tu était si aimante ! 

En montagne, dans les chemins et pentes, 

Tu guidais les gens à travers bois, 

Ailleurs, des couples en plein désarrois. 

 

Tu as subit de violentes tempêtes. 

Tu as maintenu la tête haute, 

L’esprit calme et un placide visage. 

Peines et deuils te laissaient droite. 

Qui aurait cru en ton naufrage ? 

 

Posé sur une branche d’arbre fleurie, 

Un jour de mars, un oiseau pépie, 

La tête dans le ciel bleu. 

Son chant te porte-t-il vers un dieu ? 

Je t’aime, petite Maman chérie ! 

 

© Isabelle Forestier