Les broderies rouges

Tu souris. Es-tu inquiète ?
Tu es si belle dans ton caftan
De velours blanc
Brodé de rouge
Sur ton cœur.
Le ciel est bleu transparent,
Zébré d’éclairs par instant.
Des clameurs montent,
Il nous faut aller vite.
J’ai si longtemps rêvé de toi
De ton rire, de ta voix,
De ta bouche, de ta joie.
Ma mère criait au déshonneur
Et de honte,
Ton père t’a couverte.
En vain, nous avons espéré
Les rassembler.
Et puis, pour me retrouver,
Tu as pris la fuite.
Il t’en fallait du courage !

J’ai mis ma jolie kippa.
Tu es si belle dans ton caftan
De velours blanc
Brodé de rouge
Sur ton cœur.
Nous allons nous allier,
Nous allons nous marier.
Le soleil brille avec l’orage.
De youyou, il n’y aura pas,
Ni de flûte, ni de tambours.
N’écoutes pas ces coups sourds.
Il ne faut pas avoir peur.
Cherchons un refuge, un toit,
Une cave, n’importe quoi.
Nous n’aurons pas nos parent,
Il n’y aura pas de violons
Et peu d’amis viendront.
Mais nous aurons des enfants,
Aussi tendres que toi,
Des enfants de paix et d’amour.

Les broderies rouges
De ton caftan
Ont-elles fleuri ?
Était-il de velours blanc
Auparavant ?
Est-ce le tonnerre,
Ou bien la guerre
Qui a tant secoué la terre ?
Mes oreilles bourdonnent.
Pourquoi sommes nous dans ce cratère
Empli de débris ?
Dans mon crâne, un marteau cogne.
Que t’arrive-t-il, ma chérie ?
Ton caftan est gris,
Aussi ton visage,
Tes yeux sont fermés
Et sur ton corps entier
Saignent les broderies rouges.

© Isabelle Forestier

Mademoiselle tout à l’envers (Pastel sec) – Hommage à l’illustrateur Philippe Corentin (1936-2022)

Mademoiselle tout à l’envers

Quand c’est le jour,
Elle dort toujours.
Les pieds et la tête en l’air,
À l’endroit où à l’envers,
Elle se rêve en toboggan
Et se réveille de travers.
Mais vers le soir,
Quand vient l’espoir,
À l’envers ou à l’endroit,
Même si ce n’est pas la loi,
Elle festoie avec les rois
Et reines poètes du verlan,
Auxquels elle parle tout en vers.
C’est renversant !

© Isabelle Forestier

Texte et illustration conçus pour une exposition de groupe en hommage à l’illustrateur Philippe Corentin (1936-2022) qui aura lieux du 14 décembre 2023 au 14 juin 2024 au Musée de l’Illustration Jeunesse de Moulins. Mon poème et l’illustration sont une libre interprétation de Chiffonnette la chauve-souris, personnage central de l’album :
« Mademoiselle tout à l’envers »
publié aux éditions L’école des Loisirs.

La soif

Eau.
Sentir.
J’avais si soif.
C’est frais.
La boue est un nectar.
Je respire.
Jour après jours,
Le soleil avait carbonisé ma peau,
Ce tortionnaire,
Ce despote totalitaire.
Mes mille doigts se brûlaient à ronger la terre.
Ils avaient beau creuser, creuser, creuser,
Il n’y avait plus d’eau.
Mon pouls faiblissait.
J’ai du concentrer ma force au centre de mon corps.
J’ai perdu beaucoup de cheveux,
L’esprit aussi, peut-être un peu.
C’était trop tôt,
Bien avant l’automne.
Maintenant le ciel se fendille, tonne,
S’ouvre et la pluie danse avec mes voisins et moi…
Ceux qui ont survécu.
Les autres, la mort les a roussit.
Ma sœur reste à mon côté,
Bien droite sur son tronc.
Nous nous sommes tenus par les radicelles.
Demain, sa chevelure de feuilles reverdira,
Épaisse.
Elle est belle ma sœur.
Nous vivrons encore,
Nous, arbres.

© Isabelle Forestier

La fée Chaussette

Avez-vous comme moi,

Une fée

Dans votre machine à laver ?

La mienne se nomme Chaussette.

Grâce à elle, mon linge sort plus blanc

Que la neige au nouvel an,

Ou avec des parfums et couleurs d’été.

Mais parfois,

Surtout les jours de Sabbat,

Elle me joue des tours.

La belle robe que je viens d’acheter,

Elle me la rend toute fripée,

Ou décolorée.

D’autres jours,

Quand je lui donne six chaussettes

Elle ne m’en rend que trois.

J’ai tenté de l’amadouer,

Mais elle n’a jamais voulu changer,

Ni même s’expliquer.

C’est peut-être une sorcière antédiluvienne

Fâchée avec la technologie moderne.

© Isabelle Forestier

Sultane

 

J’aime les chats !
Lorsque ma voisine, me demande si je pourrais garder sa chienne quelque jours, je pense :
« J’aime tout les animaux en principe ! »
J’accepte donc de l’accueillir chez moi.
Sultane est grande, grasse et trapue. Son pelage dru ressemble à un tapis brosse qu’on aurait repassé. Sa tête massive, couverte de rides, ses sourcils froncés, son expression renfrognée, laissent penser que le monde entier lui déplaît… à commencer par moi. Elle est moche !
J’aime les chats.
« Elle est très douce, dit la voisine ! »
Alors, la chienne descend l’escalier sur le derrière.
« Elle a des vers, je pense…. Mais j’aime tout les animaux… en principe. »
– Elle est très calme. Elle dort beaucoup, dit la voisine. »
Quand même, se gratter l’anus devant moi, comme ça ! Quel manque de délicatesse !
J’aime les chats !

Deux jours après, Sultane s’installe dans mon appartement.
Pour l’accueillir, je lui donne de l’eau qu’elle lape à grand bruit et renverse en partie sur le plancher.
J’aime les chats.
Elle semble vouloir faire connaissance et jouer. Elle reste un moment à me regarder en jappant et remuant la queue. Elle insiste beaucoup. Les chiens, je n’ai pas trop l’habitude et je ne sais pas bien comment m’y prendre, surtout dans un appartement.
J’aime les chats.
Plus tard, nous sortons pour ses besoins. Il faut ramasser le résultat dans un plastique avant de le mettre dans une poubelle de rue. Il n’y a pas d’eau pour se laver les mains ensuite.
J’aime les chats.
Elle n’avance pas vite. Il lui faut renifler toutes les traces d’urine des trottoirs du quartier ! Il y en a beaucoup. Je n’avais pas remarqué auparavant la complexité de ce paysage abstrait formé par ces coulures au sol.
J’aime les chats.
Nous rentrons et elle s’installe sur son coussin. Elle dort… longtemps.


« J’aime tout les animaux… en principe. Je vais la dessiner ! Un animal qui dort, c’est un super modèle car elle ne bougera pas ! »
Je prend mon carnet de croquis et un feutre. Je remarque la symétrie de ses rides, la force de ses muscles, les courbes de son corps, l’élégance de ses attitudes. Elle est belle finalement !
Une animal qui dort, ça bouge sans cesse. Il faut donc aller vite. Sa tête s’affale sur le coussin, la peau de ses babines s’étale mollement. Son grand corps déborde de toutes part. Je la trouve drôle enfin.


De temps à autre, elle ouvre ses paupières et me regarde avec ses bons yeux. Leurs pupilles sombres sont ouvertes sur des iris bruns-roux, presque transparents, candides. Je m’étonne qu’ils soient si incroyablement tendres. Ils ont a l’air de dire :
« Qu’est ce que tu fais là, à me regarder sans cesse ? Est ce que tu m’aimes ? »
J’ai l’impression qu’elle me sourit.
Un jour, on vient la chercher. En sortant, elle se retourne plusieurs fois vers moi avec un air triste. Puis, elle refuse de sortir de mon appartement ! Alors, je la raccompagne chez elle et la caresse longuement avant de la quitter.
Je me demande comment j’ai pu la trouver moche.
J’aime les chiens.
©Isabelle Forestier