Sultane

 

J’aime les chats !
Lorsque ma voisine, me demande si je pourrais garder sa chienne quelque jours, je pense :
« J’aime tout les animaux en principe ! »
J’accepte donc de l’accueillir chez moi.
Sultane est grande, grasse et trapue. Son pelage dru ressemble à un tapis brosse qu’on aurait repassé. Sa tête massive, couverte de rides, ses sourcils froncés, son expression renfrognée, laissent penser que le monde entier lui déplaît… à commencer par moi. Elle est moche !
J’aime les chats.
« Elle est très douce, dit la voisine ! »
Alors, la chienne descend l’escalier sur le derrière.
« Elle a des vers, je pense…. Mais j’aime tout les animaux… en principe. »
– Elle est très calme. Elle dort beaucoup, dit la voisine. »
Quand même, se gratter l’anus devant moi, comme ça ! Quel manque de délicatesse !
J’aime les chats !

Deux jours après, Sultane s’installe dans mon appartement.
Pour l’accueillir, je lui donne de l’eau qu’elle lape à grand bruit et renverse en partie sur le plancher.
J’aime les chats.
Elle semble vouloir faire connaissance et jouer. Elle reste un moment à me regarder en jappant et remuant la queue. Elle insiste beaucoup. Les chiens, je n’ai pas trop l’habitude et je ne sais pas bien comment m’y prendre, surtout dans un appartement.
J’aime les chats.
Plus tard, nous sortons pour ses besoins. Il faut ramasser le résultat dans un plastique avant de le mettre dans une poubelle de rue. Il n’y a pas d’eau pour se laver les mains ensuite.
J’aime les chats.
Elle n’avance pas vite. Il lui faut renifler toutes les traces d’urine des trottoirs du quartier ! Il y en a beaucoup. Je n’avais pas remarqué auparavant la complexité de ce paysage abstrait formé par ces coulures au sol.
J’aime les chats.
Nous rentrons et elle s’installe sur son coussin. Elle dort… longtemps.


« J’aime tout les animaux… en principe. Je vais la dessiner ! Un animal qui dort, c’est un super modèle car elle ne bougera pas ! »
Je prend mon carnet de croquis et un feutre. Je remarque la symétrie de ses rides, la force de ses muscles, les courbes de son corps, l’élégance de ses attitudes. Elle est belle finalement !
Une animal qui dort, ça bouge sans cesse. Il faut donc aller vite. Sa tête s’affale sur le coussin, la peau de ses babines s’étale mollement. Son grand corps déborde de toutes part. Je la trouve drôle enfin.


De temps à autre, elle ouvre ses paupières et me regarde avec ses bons yeux. Leurs pupilles sombres sont ouvertes sur des iris bruns-roux, presque transparents, candides. Je m’étonne qu’ils soient si incroyablement tendres. Ils ont a l’air de dire :
« Qu’est ce que tu fais là, à me regarder sans cesse ? Est ce que tu m’aimes ? »
J’ai l’impression qu’elle me sourit.
Un jour, on vient la chercher. En sortant, elle se retourne plusieurs fois vers moi avec un air triste. Puis, elle refuse de sortir de mon appartement ! Alors, je la raccompagne chez elle et la caresse longuement avant de la quitter.
Je me demande comment j’ai pu la trouver moche.
J’aime les chiens.
©Isabelle Forestier

 

Sur le parvis de la mairie

Sur un slow, ou un tango,
les danseurs tournent et tournent,
main fluette dans main tannée,
l’autre sur un dos robuste.
Sur les vagues d’un pasodoble,
ils se balancent,
la hanche tendre et ronde
et le genoux parfois raide.
Les danseurs tournent et tournent
avec tant de foi,
doigts dans les doigts,
la démarche chaloupée
et le corps chaviré.
Ton mari dort sous la terre,
avec langueur la musique les entraînent
et la vie continue Maman.
Il est drôle ce monsieur qui s’avance,
les bras battant la cadence,
avec le temps qui passe
et la joie aux lèvres.
Je suis célibataire Madame,
voudrez vous bien valser
sur le parvis de la mairie,
glisser sur talons hauts
aux pas de l’amour fou.
Sur une Samba ou une Java,
les danseurs tournent et tournent,
cheveux gris ou dégarnis,
ventres replets et peaux flétries,
leurs pieds sont toujours agiles.
Ils ont vingt ans au rythme de la danse,
sur le parvis de la mairie
d’une ville de cure thermale.
Voudrez vous bien valser Madame,
sur les roulis d’une Rumba,
vous êtes si belle
aux pas de l’amour fou.
La vie continue Maman,
à quatre vingt onze ans,
avec tes souvenirs naufragés,
des rhumatisants qui font la nuba
et la saveur enivrante
d’un thé grand yunan,
sur le parvis de la mairie
d’une ville de cure thermale.

Aix les Bains, 31 août 2017

©Isabelle Forestier